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Séance(s)

 

PRÉSENTATION DU PROJET

En 2016, le cinéaste canadien Guy Maddin met en ligne un projet de cinéma interactif baptisé Séances. L’expérience est alimentée par un vaste réservoir de courts-métrages réalisés à partir d’archives de films perdus ou inachevés du patrimoine muet que Maddin « ressuscite » lors de cessions de tournages spirites où « l’esprit du film » est convoqué. Un algorithme permet ensuite de combiner les rushes des tournages pour composer un court-métrage unique qui disparaît de la plateforme une fois visionné. Ce générateur mélancolique et spectral rappelle la polysémie du terme séance, empruntant notamment au cinéma, au spiritisme et à la psychanalyse. L’expérience proposée renvoie à un imaginaire et à une mémoire de la séance cinématographique perçue comme vecteur d’impressions tenaces et fugaces, lié au souvenir fétichisé de la projection.

Notre projet s’inscrit dans un élan d’investigations sur le film que suscitent les mutations technologiques et spectatorielles liées au numérique et à internet : bouleversements qui induisent à penser de nouveau la spécificité du dispositif cinéma. La séance — en tant que notion, pratique et somme d’imaginaires — est-elle essentielle à la compréhension de l’histoire de ce médium ? Dans un premier temps, le cadre des années 1920 en particulier semble propice à une étude des séances de projections. Les « années folles » sont en effet charnières pour l’évolution des conditions de monstration des films, entre stratégies de standardisation, développements de secteurs spécialisés et non-commerciaux (séances éducatives, militantes ou confessionnelles, essor des ciné-clubs et de la cinéphilie) et usages créatifs de la séance (via des formats inédits comme le triple écran d’Abel Gance ou des formes hybrides tels les happenings surréalistes couplant le spectacle de l’écran à celui de la salle). De plus, si les récentes histoires du cinéma se sont penchées sur les premiers temps de ce médium ou sur le contexte de la Grande Guerre (lié au centenaire du conflit), les années 1920 n’ont pas encore fait l’objet d’une analyse ciblée sur les conditions du spectacle cinématographique en France, à Paris et en province. Dans un second temps, nous espérons ouvrir ce travail conceptuel autour de la notion de séance à d’autres périodes et d’autres arts.

Les perspectives et méthodes d’histoire culturelle que nous nous proposons d’adopter embrassent l’étude des publics, de la corporation (avec un attachement aux mutations des différents métiers qui accompagnent les séances de projection ou les commentent) et de la création cinématographique ; et s’intéressent aux interactions entre l’histoire des pratiques, des discours et des formes. Afin de mieux contextualiser la séance de cinéma au sein des « séries culturelles » qui l’environnent (le théâtre en particulier mais également les sciences psychiques et la psychanalyse en plein essor) les approches interdisciplinaires seront encouragées. Nos hypothèses seront étayées par des enquêtes menées à partir de sources de première main au sein des collections d’institutions parisiennes et régionales.

Le champ de recherches que nous souhaitons investir est donc propice à un temps long d’investigation et à la participation de chercheurs d’horizons divers. L’interdisciplinarité et la non restriction au milieu francophone seront ainsi particulièrement encouragés. Nos hypothèses seront développées à travers des manifestations plurielles, à commencer par une journée d’études en juin 2017 dont les pistes seront prolongées l’année suivante par un atelier mensuel, un colloque international, des publications ainsi que des projections reconstituant des séances d’époques. Porté par l’association de jeunes chercheurs Kinétraces, ce projet bénéficiera du rayonnement de cet organisme auprès de ses adhérents et sympathisants ainsi que des compétences développées par ses membres pour le travail scientifique en équipe, au prisme de l’archive.

Le carnet Hypothèses associé au projet « Séance(s) » rassemble l’ensemble des activités de l’association liées au projet. Il présente les différentes interventions entendues lors du séminaire en 2018, la journée d’études s’étant tenue en juin 2017, et le colloque fin 2018.